La demande de pardon de GKS à Gbagbo, Bédié et Ouattara : Une démarche à discuter…

Par MOH LAUMET-DJE

« Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a plus que besoin de pardon et de réconciliation. Je veux demander pardon aux Ivoiriens pour tout ce que j’ai pu faire (…) à ce peuple qui a tant souffert. Je demande pardon à mes aînés Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et même au président Laurent Gbagbo. La division fait du tort à nous tous. Ne nous divisons pas ! Travaillons à la paix ! Dans les jours suivants, je serai plus engagé pour le pardon et la réconciliation. Même Gbagbo mérite que j’aille lui demander pardon. Je demanderai pardon à tout le monde », a déclaré le PAN Guillaume Kigbafori Soro à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan à son retour d’une tournée européenne le 20 juillet dernier où il a été élu premier vice-président du parlement de la francophonie.

Ces propos ont suscité des réactions dans l’opinion. De nombreuses personnes ont ainsi usé de leur bon droit pour se poser les questions suivantes : pourquoi irait-il demander pardon à ces trois personnalités ? Sont-elles plus importantes que le peuple ivoirien ? Demander pardon aux Ivoiriens pour le mal qu’il leur a causé ne suffit-il pas à la démarche de réconciliateur que le PAN a initiée ? Demander pardon particulièrement à ces trois personnalités ne revient-il pas à décliner sa culpabilité absolue dans cette crise ? Guillaume Kigbafory Soro ne vient-il pas là de commettre une faute ?

Ces questions sont loin d’être mal à propos. Elles traduisent un intérêt de la population citadine pour la quête de demande de Pardon et de Réconciliation entreprise par le PAN. Il convient de leur donner des esquisses de réponses ou, du moins, des hypothèses de réponse.

Signalons d’abord un fait : de tous les protagonistes, le PAN est le premier à publiquement vouloir se repentir devant la nation et à reconnaître les torts causés aux Ivoiriens. Car en dépit de tout ce qu’ont annoncé le RDR et son mentor à leur accession au pouvoir, rien n’a été fait en faveur du pardon et de la réconciliation nationale. Les résolutions de la CDVR (Commission Dialogue Vérité et Réconciliation) conduite par Charles Konan Banny, sont restées dans les placards de leur commanditaire, le Président de la république. Sort étrange que celui de ce document dont tous disent du bien, mais dont, manifestement, le Premier magistrat ne veut pas en entendre parler.

Guillaume Soro a, lui, pris ses responsabilités en disant, sans réserve : « Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a plus que besoin de pardon et de réconciliation. Je veux demander pardon aux Ivoiriens pour tout ce que j’ai pu faire (…) à ce peuple qui a tant souffert. » Aucun ivoirien ne peut rester insensible à un tel discours chargé de bon sens. Mais c’est la suite du propos qui ne semble pas avoir été bien accueillie sur tous les points. Examinons-la.

La demande de pardon à Laurent Gbagbo

La démarche semble obéir à un souci : rétablir la communication et la confiance rompues avec l’ex-chef d’Etat ivoirien. Ce dernier compte au nombre de ceux qui ont contribué à donner à Guillaume Soro une instruction politique. Des sources disent que Gbagbo a suivi et même encadré les activités syndicales de Soro, alors leader de la Fesci. Ils ont savouré ensemble la chute du Président Henri Konan Bédié. Ils ont donc un beau parcours politique.

C’est pourtant le règne de ce ‘‘grand frère’’ et maître politique qu’il a contrarié par la rébellion qu’il conduisit pendant près de dix ans (2002 à 2011). Et Gbagbo n’a cessé de clamer : « On ne m’a pas laissé travailler ».

Bien sûr que GSK avait déjà exposé les raisons de sa rupture avec Gbagbo ; divorce qui datait déjà des années Fesci. Parmi les raisons de sa rupture avec l’ex-président du Fpi, il faut noter : l’instrumentalisation ethnique de la Fesci, le scandale électoral du scrutin présidentiel d’octobre qui s’est déroulé sous fond de tricherie et d’exclusions inacceptables, sans oublier les morts communément appelés « charnier de Yopougon ». Comme de nombreux acteurs politiques de cette époque, GKS fut favorable à la reprise du scrutin, une solution de sagesse qu’a malheureusement refusée Gbagbo. Pis, ce dernier reprend et radicalise l’idéologie de l’ivoirité créée sous Bédié et GKS contesta sans réserve.

Toujours est-il que la rébellion entrava le règne de Gbagbo. Ce qui accentua le clivage entre ces deux personnalités de la scène ivoirienne (Gbagbo et Soro).

Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo et Guillaume Soro le 3 octobre 2010 à Bouaké. Photo: AFP

Au cours de ces années de conflits guerriers, notons l’extraordinaire reconnaissance de Soro par Gbagbo, au rang plus que respectable de Premier ministre, faisant ainsi du rebelle ennemi et décrié par nombres d’Ivoiriens, le troisième haut personnage de l’Etat. C’est une consécration presque suprême pour l’ex-étudiant devenu ministre après à sa participation à une rébellion.

Y a-t-il eu un deal entre Gbagbo et Soro dans l’Apo (Accord politique de Ouaga) ? Dans sa récente publication sur le thème du « Pardon et Réconciliation », Tiburce Koffi s’interroge sur l’objet de l’Apo : « Le deal de l’Accord politique de Ouaga (Apo) était donc d’aider à la réélection de M. Gbagbo à la tête du pays par/avec le soutien de Guillaume Soro et Blaise Compaoré ? Parfait ! » On sait le reste des événements : Guillaume Soro optera pour Alassane Ouattara. Le jugement des partisans de Gbagbo est sans appel : « Soro est un traître.» Mais en réalité, dans cette affaire, bien malin qui saurait nous dire qui aura vraiment trahi qui ?

Laurent Gbagbo comptait certainement sur Soro pour que ce dernier lui renvoie l’ascenseur, par un soutien affirmé à son combat pour la présidentielle, pour un 3è mandat (2010-2015). Et cela, en reconnaissance de tout ce qu’on peut deviner qu’il lui a donné.

Soro a-t-il fait des promesses à Gbagbo dans ce sens ? « Oui », entend-on dire de la part de nombre des partisans de l’ex-chef d’Etat. « Non », laissent entendre aussi les partisans de GKS. Convenons donc que nous n’en savons rien. En réalité, ces supputations ne sont que de fausses spéculations ; c’est-à-dire des hypothèses et affirmations sans fondement réels. Et puis, moins qu’un don à GKS, l’Apo est un accord politique, donc un compromis à l’issue d’une négociation, et non un acte de générosité de la part de Gbagbo.

Dans tous les cas, on peut retenir qu’entre Gbagbo et Soro, c’est une longue histoire d’amours et de querelles. Une histoire plus ancienne et sans doute plus solide que les liens qui unissent l’actuel PAN à Alassane Ouattara. On voit donc pourquoi Guillaume Soro veut aller demander pardon à Gbagbo à La Haye ; tout comme on comprend pourquoi il a tenu à établir un pont avec Alain Toussaint le redoutable homme de Communication de l’ex-chef d’Etat qui le combattit ; établir aussi le lien avec Tiburce Koffi, l’écrivain journaliste qui l’aura le plus cloué au pilori durant les temps de rébellion. On ne se réconcilie qu’avec ses plus redoutables adversaires ou ennemis. On peut donc conclure que la demande de pardon à Laurent Gbagbo, arrive à point nommé.

Demande de pardon à Bédié et à Ouattara

La démarche de Guillaume Soro envers ces deux personnalités de Côte d’Ivoire pourrait s’expliquer par deux premières raisons qui semblent s’imposer à lui : ce sont de fortes personnalités : chefs de partis, ayant présidé et présidant aux destinées de la Côte d’Ivoire, Bédié et Ouattara drainent des milliers de militants. Il faut donc éviter de les contrarier pour quelle que raison que ce soit. Or sa probable candidature semble effaroucher déjà ces deux géants de la politique ivoirienne qui font et défont les destins de leurs militants et même des Ivoiriens en général.

N’oublions pas aussi les rapports, conflictuels d’hier qu’il y a eu entre le régime de Bédié au pouvoir, et le bouillant syndicaliste qu’était Guillaume Soro, au cours des années 1994-1998. Etudiant syndicaliste frondeur, Guillaume Soro n’a eu de cesse de défier le ministre de l’intérieur de cette époque, Dibonan Koné. Il s’est même allié avec le Rdr pour combattre le Pdci-Rda et le pouvoir de Konan Bédié.

A l’époque grand opposant au pouvoir de Bédié, Guillaume Soro avait, aux côtés de Charles Blé Goudé et bien d’autres membres de la Fesci, salué le coup d’Etat de 1999.

GKS a aussi fait alliance avec Laurent Gbagbo pour affaiblir le régime de Konan Bédié en fustigeant la politique de l’Ivoirité prônée à cette époque par Bédié. Tous ces faits peuvent donc expliquer et même justifier la démarche de demande de pardon que GKS envisage d’entreprendre auprès du président du Pdci-Rda.

On peut donc dire, au regard de tous ces actes posés à l’encontre du Pdci, que Guillaume Soro, en décidant d’aller demander pardon à Konan Bédié, se montre respectueux de la culture africaine qui veut que le plus jeune reconnaisse ses erreurs (vrais ou supposés) devant les aînés et implore leur pardon.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que c’est bien sous le règne de Bédié que Guillaume Soro a le plus souffert en tant que Secrétaire général de la Fesci. De 1994 à 1998, GKS a connu plusieurs arrestations et séjours carcéraux. C’est d’ailleurs suite à ces arrestations qu’il a obtenu le statut de Prisonnier d’opinion par Amnesty international en 1995, et sacré « Homme de l’année en 1997 » par le quotidien Ivoir’Soir.

Nous pourrons aussi dire que cette demande de pardon est une ironie. Profitant de l’opportunité qui lui est offerte, GKS met un terme à la polémique suscitée par Henri Konan Bédié sur sa candidature en 2020. En effet, dans l’interview citée plus haut, Konan Bédié avait aussi levé un coin de voile sur la confidence que lui aurait faite GKS sur son intention de ne pas briguer la présidentielle en 2020. Il veut donc à travers cet acte, mettre Henri Konan Bédié devant un fait, la réalité de sa candidature en 2020, en disant à ce dernier : « Pardon papa ; mais je ne peux pas renoncer à ma candidature pour 2020 ».

Alassane Ouattara mérite-t-il lui aussi le repenti de GKS ? Ce n’est pas si évident. Dans le fond, qui d’Alassane ou de Soro doit à qui ? Ouattara doit à Guillaume Soro d’être aujourd’hui au pouvoir. N’eut été son choix décisif à la dernière minute en faveur du président du Rdr, Laurent Gbagbo serait encore au pouvoir. Comment donc, lui le faiseur de roi, peut-il aller faire acte de repentance auprès de ce dernier ? Alors qu’au Fpi, on l’accuse de trahison pour avoir lâché et jeté Gbagbo son allié de l’accord de Ouaga en pâture.

     

A l’instar de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara fait partie de ceux qui ont introduit la violence dans la politique. A notre avis, cette démarche envers Ouattara ne se justifie pas.  A moins qu’elle ne soit l’expression ironique d’un « sabari» qui voudrait dire, sous cape : « Pardon, les aînés, laissez-nous essayer aussi de diriger ce pays ; c’est notre tour, votre temps est fini. »

Dans sa quête du pardon et de réconciliation, il apparaît qu’il serait mieux indiqué, pour GKS, de se concentrer uniquement sur le peuple ivoirien. Car qu’on se le dise, tous ces acteurs sont à la base des difficultés que vivent les Ivoiriens depuis 1999. Eux aussi doivent demander pardon comme veut le faire le PAN. Ce sont aussi des auteurs de la crise et non des victimes. Bédié, Ouattara et Gbagbo sont les trois principaux responsables de la détérioration de la qualité de la vie politique ivoirienne.

 

Leave a Comment