Le franc-parler d’Alpha Condé et la génération émergente africaine

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

IL existe une Afrique contemporaine sans complexes. Elle ne craint ni ses maîtres d’hier, ni leurs spectres survivants. Quelle est donc cette Afrique? Celle qui connaît le monde, respecte les puissances et sait se faire respecter, sans tomber ni dans l’anticolonialisme dogmatique, ni dans la pleutrerie d’une enfance éternelle devant les Grands de ce monde. Manifestement, cette Afrique puise dans la sève des grandes leçons de l’Histoire. Car, d’une part, elle a l’expérience des choses et des hommes enclins à tenir compte de la réalité des rapports de forces économiques, militaires, politiques, qui structurent la géopolitique planétaire. Mais d’autre part, elle a la conscience du sens de l’Histoire qui recommande de prendre quelque fois le taureau du progrès par les cornes, et d’appeler un chat, un chat. Comment nier que le Chef de l’Etat guinéen, Son Excellence Alpha Condé, brille de mille feux dans ce franc-parler de la gauche africaine émergente, cette mouvance du social-libéralisme dont Guillaume Soro est par ailleurs le plus sûr fleuron de sa génération actuelle? Dans les lignes qui suivent, je voudrais distinguer le Franc-Parler d’Alpha Condé de celui d’un certain Laurent Gbagbo, comme on distingue l’amitié sans fourberie de l’amitié hypocrite avec la France. Je voudrais ensuite souligner que la liberté de ton utilisée par le Président Alpha Condé, autant lors de son séjour récent à Abidjan que de sa dernière visite d’Etat en France participe d’un signe des temps, que les scrutateurs d’avenir doivent savoir lire. Et je voudrais pour finir, rapprocher ce verbe droit d’Alpha Condé de la clarté amicale de Guillaume Soro avec la France, du temps de la résistance anti-ivoiritaire à celui de la longue marche dans son destin national.

Certes, une certaine presse internationale veut voir ces derniers temps Alpha Condé en Gbagbo bis. Le président Guinéen n’a-t-il pas plusieurs fois revendiqué et assumé son amitié pour Laurent Gbagbo? En apparence, on pourrait associer par ressemblance les parcours politiques de l’actuel Chef de l’Etat guinéen et de l’ancien président ivoirien. Les deux hommes d’Etat sont des Professeurs. Alpha Condé comme Gbagbo ont vécu une longue traversée du désert, comme opposants politiques dans leurs pays respectifs. L’un comme l’autre furent prisonniers des régimes Lansana Conté et Houphouët-Boigny. ILs ont tous connu l’exil notamment en France. Les deux hommes d’Etat appartiennent à la nébuleuse de la gauche africaine et eurent leurs attaches dans l’Internationale Socialiste, avec de profonds liens de camaraderie tissés avec les socialistes français. Les deux hommes d’Etat ont accédé au pouvoir à la suite de sérieuses crises politiques dans leurs pays, avec bien souvent des centaines, voire des milliers de morts pendant les crises. Mieux encore, du point de vue du caractère, on croit entendre l’un quand l’autre parle, car les deux ne semblent pas avoir leur langue dans la poche.

Pourtant, il convient tout de suite de montrer que cette ressemblance est loin d’être parfaite et décisive. Car Gbagbo accède au pouvoir par effraction, dans une élection 2000, dont ses principaux rivaux sont exclus. Alpha Condé a pour sa part été régulièrement élu. Gbagbo promeut dans son pays, une idéologie de préférence nationale, l’ivoirité, qui coûtera même de nombreuses vies humaines aux immigrés guinéens de Côte d’Ivoire. Chez Alpha Condé, le nationalisme n’a jamais viré à la xénophobie. Gbagbo refuse de quitter le pouvoir en 2010, alors qu’il a été battu à la régulière par Ouattara. Tel n’est pas à ce jour le cas d’Alpha Condé, dont on n’a aucune preuve tangible qu’il tenterait même de modifier la constitution pour se pérenniser à plus de 80 ans au pouvoir, au terme de son mandat actuel.

Mieux encore, Alpha Condé parle pour émanciper ses pairs africains et les jeunes générations de la peur de penser, de réfléchir, d’inventer des solutions africaines aux problèmes africains. Alpha Condé nous invite à l’audace d’espérer dont parlait Obama dans son ouvrage du même titre. Or Gbagbo parlait pour intimider ses rivaux, pour embrigader les jeunes ivoiriens dans son nationalisme brouillon et pour liguer par opportunisme, les masses africaines contre la France, dans le seul but de conserver anti démocratiquement le pouvoir. Le Franc-Parler d’Alpha Condé n’est donc pas celui de Gbagbo. Ami assumé de la France, Alpha Condé n’a jamais invité au lynchage des Français en Afrique.

Lorsque le président Guinéen invite donc ses pairs africains à poursuivre leur émancipation mentale de la tutelle postocoloniale française, ce n’est pas par hostilité envers la France, mais parce que les solutions des problèmes africains, même du point de vue des cadres politiques français les plus réfléchis, ne pourront venir que des Africains eux-mêmes. Alpha a parlé vrai à Abidjan et à Paris, non pas pour manipuler les Guinéens ou les Africains, mais pour accélérer la prise de conscience des Chefs d’Etat et des peuples Africains. On ne confondra donc pas le Franc-Parler de la roublardise avec celui de la responsabilisation. Loin d’être un Gbagbo bis, Alpha Condé est en phase avec son temps. IL aura réussi, comme aucun de ses pairs africains, à parler publiquement au Président Français avec amitié et franchise, sans tomber ni dans la provocation, ni dans l’excès. L’Afrique a besoin de partenaires décomplexés, comme elle s’efforce de l’être elle-même. Elle veut pouvoir se développer sans injonction. Pour ce faire, elle ne demande pas au reste du monde un certificat de laxisme aux dictatures, mais une saine considération de ses efforts réels de modernisation et de progrès. Telle est la dimension de la responsabilité qui émerge du Discours Franc d’Alpha Condé, qui relève donc de ce que Michel Foucault appelle la Parrhêsia, ou le courage de la vérité.

Qui plus est, le Franc-parler d’Alpha Condé entre en phase avec la nouvelle génération des cadres politiques africains qui n’ont connu ni l’esclavage, ni la Traite des Noirs, ni la Colonisation, ni la néocolonisation. Génération qui est appelée à assumer l’Afrique à court terme. Cette jeune génération de leaders, notamment imbibée des grands enseignements tactiques et stratégiques de la lutte de gauche, arrive çà et là aux affaires politiques par l’effraction de la voie syndicale dans les années 90. Elle y acquiert une carapace de résistante, une expertise de la science du gouvernement et le pragmatisme de la gestion des affaires publiques. C’est bien cette grande génération panafricaine, qui bénéficie des traditions de résistance du syndicalisme universitaire africain et se donne des lettres de noblesse quand son leader générationnel dans toute l’Afrique francophone, Guillaume Kigbafori Soro, se pose en renégociateur du contrat sociopolitique ivoirien. IL y a là un phénomène dont l’ampleur se mesure encore fort mal dans de nombreuses officines. Comment le nier? IL y a en Côte d’Ivoire, depuis les temps de la résistance, un leader issu de la gauche ivoirienne, fin connaisseur de la droite et du centre, et qui sait parler avec amitié, sincérité et courage à la France, sans faux-fuyant. A la tête de la rébellion ivoirienne de 2001 à 2007, Guillaume Soro a plusieurs fois fait prendre conscience à l’ancienne puissance tutélaire des métamorphoses mentales de l’Homme africain. Qu’on se souvienne des péripéties des négociations de Linas-Marcoussis en 2003, ou des passages de Guillaume Soro à la télévision française dans la même période. On se convaincra de son sens de la franchise lucide et mesurée. Premier ministre sous Laurent Gbagbo, il obtient de celui-ci le satisfecit d’avoir été son meilleur Chef du gouvernement en raison de sa capacité à défendre l’intérêt général de son pays, par-delà tous les clivages. Et plusieurs fois, Guillaume Soro s’adresse avec calme et lucidité aux puissants du monde pour leur expliquer l’évolution de la cause de son pays. Ainsi sera-t-il fait dans le chaudron de la crise postélectorale de 2010-2011, sous le magistère du Président de la République Alassane Ouattara. Le seul Premier Ministre cumulativement Ministre de la Défense du Président Alassane Ouattara parlera au monde avec assurance et fécondité, jusqu’à la sortie réussie de crise de son pays. Faut-il rappeler ici le Guillaume Soro des années de tempêtes 2014-2015, affrontant en plein Paris la houle d’une cabale qui ne cachait plus le projet de l’assassiner politiquement à tout jamais? Je n’insisterai pas davantage sur ce parallèle.

IL me faut et il me suffit d’avoir montré que le Président Alpha Condé, loin d’être dans la faconde d’un Gbagbo anti-français par opportunisme, se situe bien au contraire dans l’éthique de la responsabilité et de la lucidité de la génération africaine montante, dont Guillaume Soro, l’un des plus solides héritiers de la gauche africaine, mais aussi de l’expérience du libéralisme social, est l’incontestable dépositaire. Honneur et respect donc au Président Alpha Condé, qui ne montre et n’invente pas la voie et la voix de l’Afrique, mais se contente de les faire reconnaître comme paradigmes du présent continental.

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